Coût de théâtre pour les entreprises en difficultés

PAR AJ ASCAGNE LE 25 juin 2020

Il suffit parfois d’un bon texte pour faire un bon acteur. Jusqu’à l’ordonnance du 20 mai, les mesures gouvernementales de soutien aux entreprises visaient à retarder les tragédies économiques. Le droit des entreprises en difficultés semblait, comme d’habitude, destiné à faire de la figuration pour laisser la vedette aux 57 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat et à leurs heureux bénéficiaires. Sauf que les second rôles se sont mis à faire les premiers titres : après les révélations du Canard Enchainé du 20 mai 2020 sur le plan d’économie de Renault, Libération (édition du 21 mai) embrayait sur les faillites et la contagion des plans sociaux. Alinéa, Conforama, Naf Naf, André, Tie Rack, la Halle aux vêtements, et tant d’autres : la liste des entreprises ayant déjà déposé le bilan, ou sur le point de le faire, commençait à être aussi longue que celle des nominés aux Molières. Pressentant la levée de rideau, les techniciens du spectacle avaient travaillé d’arrache-pied, plantant le décor et brodant les costumes dès l’ordonnance du 27 mars. Avec l’ordonnance du 20 mai, ils mettent la dernière touche au maquillage des acteurs.

Attention, Mesdames et Messieurs, le spectacle va commencer.

Acte premier (Article 1 de l'ordonnance) : Le Président du Tribunal alerté par le commissaire aux comptes.

La procédure d’alerte, en cas de suspicion de difficultés, est raccourcie et facilitée. Le commissaire aux comptes peut, sans attendre les explications du dirigeant, s’ouvrir de ses inquiétudes au Président du Tribunal. Qui croire, des soupçons d’Othello ou des dénégations de Desdémone ? Les magistrats devront dire si les doutes sont fondés.

Acte deux (Articles 2 et 3) : Le conciliateur, deus ex machina.

Tous les conciliateurs vous le diront : il faut plaider la cause de l’entreprise auprès des créanciers pour les convaincre de patienter. Ce qui les contraignait à d’émouvantes tirades, lesquelles n’emportaient pas nécessairement la conviction des parties. Désormais, le conciliateur pourra réserver son éloquence au Président du Tribunal. Ce dernier a la faculté, sur requête de l’entreprise débitrice, d’interrompre ou interdire toute action en justice de la part d’un créancier et toute mesure d’exécution. Il pourra même accorder un report ou un échelonnement des dettes. Cette mansuétude était autrefois conditionnée à ce qu’un créancier mette effectivement en demeure l’entreprise de le payer, ce qu’il se gardait de faire, puisque, comme chacun sait, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Elle est maintenant généralisée.

Autre innovation, l’article 3 supprime les conditions de seuils pour demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée. La menace de cette procédure , très dissuasive pour les créanciers en ce qu’elle gèle leurs dettes, les incitaient à privilégier le succès de la conciliation. Elle était autrefois réservée aux gros dossiers. Unité de temps, de lieu et d’action : toutes les entreprises ont droit désormais à la même dramaturgie.

Acte trois (Article 9) : Ciel, mon mari !

 L’ordonnance du 27 mars 2020 avait figé l'état de cessation des paiements à la date du 12 mars 2020.. L’ordonnance du 20 mai confirme cette tolérance et en fixe le terme. Pris en flagrant délit de passif exigible entre le 12 mars et le 23 août à minuit, le dirigeant pourra répondre : « chérie, ce n’est pas ce que tu crois ! ». Il pourra avouer ou non l’état de cessation des paiements et, sauf fraude, choisir la procédure qui lui semble la plus adaptée.

Ce n’est pas tout : l’ordonnance du 20 mai fait claquer les portes et sortir l’entrepreneur du placard. C’est la fin d’un tabou, celui du rachat de l’entreprise en liquidation par ses anciens dirigeants ou ses proches. Il faut maintenir l’emploi à tout prix, c’est la nouvelle morale de la pièce (Assouplissement du principe de l’article L. 642-3 du code de commerce).

Enfin, les acteurs de la procédure peuvent communiquer par tout moyen, ce qui donne un coup de vieux à la lettre recommandée et facilitera les quiproquos.

Acte quatre : le débiteur couronné.

Les dénouements heureux sont favorisés. Après bien des péripéties, l’entreprise pourra, sur décision du juge commissaire, bénéficier d’un délai raccourci de 15 jours là où il était laissé un mois aux créanciers pour se prononcer sur les mérites de son plan de remboursement. Pour déterminer le passif à rembourser, on pourra se contenter désormais d’une attestation de l'expert-comptable ou du commissaire aux comptes. Finies les fastidieuses procédures de déclaration et de vérification des créances qui rendaient les intrigues indigestes !

L’exécution des plans promet toutefois des rebondissements : l’ordonnance du 27 mars avait déjà ouvert la voie à leur allongement pour un an. L’ordonnance du 20 mai permet une prolongation supplémentaire de deux ans. Le tribunal pourra adapter les modalités d’apurement du passif sans être tenu par la règle d’airain de l’article L 626-18 qui fixe l’échéance minimale à 5% du passif dès la troisième année du plan. Il pourra même octroyer des délais de paiement de l’échéance.

Pour adoucir l’amertume des épilogues funestes, les seuils de la liquidation simplifiée sont relevés de 5000 à 15 000 euros d’actifs. Davantage de personnes physiques pourront ainsi bénéficier du rétablissement professionnel et poursuivre leur activité sans en être dessaisies.

La pièce se jouera au moins jusqu’au 31 décembre 2020*. Toute la troupe espère que le public d’entreprises sera au rendez-vous pour que le rideau se lève sur le redressement de l’économie française.

 *L'article 10 de l'ordonnance précise les dispositions qu'elle introduit qui s'appliquent aux procédures en cours. Tel ne sera pas le cas des dispositions qui affectent les droits des créanciers dans la procédure. Il distingue, en outre les dispositions qui demeurent applicables jusqu'au 31 décembre 2020, et celles qui, compte tenu du temps nécessaire à leur complète efficacité et de la durée des conséquences économiques de la crise liée à l'épidémie de covid-19, demeurent applicables au plus tard, jusqu'à la date à laquelle la directive (UE) 2019/1023 du parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 doit être transposée, afin d'éviter une succession de régimes applicables (Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19).

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